À l’Institut NuMeCan (Rennes), l’équipe EAT mène des recherches autour du neurofeedback, une technique d’imagerie cérébrale qui permet d’observer en temps réel l’activité cérébrale et de la retransmettre au patient. Cette approche innovante vise à apprendre au patient à contrôler et à moduler certaines zones de son cerveau. L’idée centrale est de donner aux patients les moyens d’agir sur leur activité cérébrale, en ciblant des zones spécifiques impliquées dans la régulation des comportements alimentaires.
Rencontre avec David Val-Laillet, Directeur de recherche dans l’équipe EAT « Contrôle des Comportements Alimentaires » à l’Institut NuMeCan
Vous travaillez à l’Institut NuMeCan sur des recherches en santé mentale, plus particulièrement sur les troubles du comportement alimentaire et le neurofeedback. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
En effet, nous utilisons une méthode de spectroscopie dans le proche infrarouge, appelée technologie fNIRS. Concrètement, le patient porte un petit casque sur la tête, qui est beaucoup moins contraignant et moins coûteux que l’imagerie par IRM fonctionnelle que nous utilisons habituellement pour explorer le cerveau en profondeur et avec une grande résolution. Cette technologie permet de capter des signaux de l’activité cérébrale en temps réel et nous ouvre des perspectives pour des usages en routine clinique plus acceptables pour les patients et les praticiens.
Quels types de patients participent à ces études et dans quel cadre ?
Nous avons actuellement deux études cliniques en cours. La première concerne des volontaires en bonne santé qui présentent des épisodes d’hyperphagie émotionnelle, c’est-à-dire des envies de manger excessivement sous l’effet d’émotions, le plus souvent négatives. Si ces crises deviennent trop fréquentes, elles peuvent évoluer en troubles alimentaires. La deuxième étude, elle aussi réalisée en collaboration avec le CHU de Rennes, concerne des patientes souffrant d’obésité, dont certaines présentent aussi une addiction alimentaire.
Avant de lancer ces études cliniques, nous avons mené deux études exploratoires auprès de sujets sains et de patients en obésité pour localiser précisément les zones cérébrales impliquées dans les habitudes alimentaires à risque et les addictions alimentaires. Nous avons également constaté que la période de la Covid-19 a amplifié ces épisodes d’hyperphagie émotionnelle, ce qui rend cette recherche encore plus pertinente aujourd’hui.
Quels sont les objectifs de ces recherches en matière de santé mentale et de médecine personnalisée ?
L’enjeu est de pouvoir personnaliser les traitements en fonction de l’activité cérébrale de chaque patiente. Nous avons obtenu un financement de prématuration de l’Inrae pour continuer à développer la technologie fNIRS. Ce soutien nous aide à améliorer la qualité du signal acquis et à le personnaliser en fonction de chaque individu.
Nous nous concentrons sur le cortex préfrontal dorsolatéral, une zone clé du cerveau qui intervient dans la prise de décision et les comportements motivés. Nous entraînons les patientes à activer cette zone pour mieux gérer leurs tentations. En d’autres termes, nous les aidons à « muscler » cette zone cérébrale impliquée dans le contrôle de soi, un processus guidé par le neurofeedback.
Concrètement, comment se passe l’entraînement avec le neurofeedback ?
La patiente voit en direct si la zone ciblée s’active et teste diverses stratégies mentales pour y parvenir. Les stratégies d’activation sont très personnelles, et le neurofeedback permet au patient de voir ce qui fonctionne pour lui. Le but est de l’entraîner, au fil des séances, à prendre le contrôle de ses réactions et de ses tentations.
Nous avons récemment publié un article sur ce protocole, qui comporte huit séances réparties sur un mois. L’objectif est de vérifier l’efficacité de ce protocole après nos essais cliniques en cours.
Cette méthode pourrait-elle transformer la prise en charge des troubles alimentaires ?
Absolument ! Nous espérons qu’elle ouvrira la voie à une prise en charge plus fine et plus ciblée, en permettant aux patients de développer leur propre capacité à moduler leur comportement. Nous sommes encore dans une phase d’expérimentation, mais les résultats sont très encourageants. A terme, nous visons le développement d’un véritable dispositif médical qui démocratisera l’utilisation du neurofeedback en médecine personnalisée, que ce soit en ville ou à l’hôpital.
Publié le 19/11/2024